Arrêt de la CJUE, 21 juin 2012, aff. C-78/11

Dans un arrêt du 21 juin 2012, la CJUE estime qu’une disposition nationale ne peut pas empêcher un travailleur dont l’incapacité de travail survient pendant sa période de congés payés de bénéficier de ce congé après la fin de la période d’incapacité de travail.

Lorsque l’incapacité de travail survient pendant sa période de congé payé annuel, le travailleur peut-il être privé du droit de bénéficier ultérieurement dudit congé ? Non, répond la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans un arrêt du 21 juin. Une telle interdiction serait en effet contraire à la finalité du droit au congé payé, droit ayant par ailleurs une importance fondamentale dans le droit de l’Union européenne.

 

Cette solution pourrait fortement inciter la Cour de cassation française à modifier sa jurisprudence en matière de congés payés.

 1. Une incapacité de travail survenant pendant la période de congé annuel

Des syndicats de salariés espagnols ont formé des recours collectifs pour faire reconnaître le droit pour des travailleurs soumis à la convention collective des grands magasins 2009-2010 de bénéficier de leur congé annuel payé, même si celui-ci coïncide avec des périodes de congé pour incapacité temporaire. La fédération patronale du secteur estimait pour sa part que, avant le début d’une période de congé fixé au préalable ou durant celle-ci, les salariés n’ont pas le droit de bénéficier de leur congé après la fin de l’incapacité de travail, excepté dans les cas prévus par le statut des travailleurs (incapacité due à la grossesse, événements liés à l’accouchement, à l’allaitement, à l’adoption ou l’accueil).

Le Tribunal Supremo, devant lequel un pourvoi en cassation a été formé par l’organisation patronale, a donc posé cette question préjudicielle à la CJUE : la directive 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail s’oppose-t-elle à « des dispositions nationales prévoyant qu’un travailleur, en incapacité de travail survenue pendant la période de congé annuel payé, n’a pas le droit de bénéficier ultérieurement dudit congé annuel coïncidant avec la période d’incapacité de travail » ?

 2. Le droit au congé payé : un principe d’une importance particulière

La Cour rappelle que, en vertu de sa jurisprudence constante, le droit au congé annuel payé est vu comme un principe du droit social de l’Union européenne, qui revêt une importance particulière. Il ne peut y être dérogé que dans les limites prévues par la directive 93/104/CE, codifiée par la directive 2003/88 (CJUE 22 novembre 2011, aff. C-214/10).

 La CJUE souligne également que ce droit est expressément consacré par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle a la même valeur qu’un traité (le traité est contraignant pour les États membres). En outre, ce principe ne peut pas être interprété de manière restrictive (CJUE 22 avril 2010, aff. C-486/08).

 3. Le moment où survient l’incapacité n’est pas pertinent

La CJUE a déjà jugé (CJUE 10 septembre 2009, aff. C-277/08, Vivente Pereda), dans un cas où le congé maladie avait débuté avant le début d’une période de congé payé annuel, que la finalité du droit au congé payé annuel implique que le travailleur en congé maladie durant la période de congé annuel fixée au préalable a droit, à sa demande, de bénéficier effectivement de ce congé, et de prendre ce dernier à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé maladie.

 Dans le présent arrêt, elle ajoute « que le moment où est survenue l’incapacité est dépourvu de pertinence ». Dès lors, elle considère que le travailleur « a le droit de prendre son congé annuel payé coïncidant avec une période de congé de maladie à une époque ultérieure, et ce indépendamment du moment auquel cette incapacité de travail est survenue » (avant ou pendant le congé annuel payé). Pour la Cour en effet, accorder ce congé uniquement si le travailleur est déjà en incapacité de travail quand la période de congé annuel payé a commencé serait aléatoire et contraire à la finalité du droit au congé payé.

 La Cour de justice de l’Union européenne en conclut donc que la directive 2003/88 concernant l’aménagement du temps de travail « s’oppose à des dispositions nationales prévoyant qu’un travailleur, en incapacité de travail survenue pendant la période de congé annuel payé, n’a pas le droit de bénéficier ultérieurement dudit congé, coïncidant avec la période d’incapacité de travail ».

 4. Une mise en conformité de la jurisprudence française s’impose

La Cour de cassation estime que, si la maladie survient pendant les congés, l’employeur qui a accordé le congé s’est acquitté de ses obligations pour l’année de référence. Ainsi le salarié ne peut pas exiger de prendre des congés après l’arrêt maladie (Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 93-44907). Le salarié perçoit alors son indemnité de congés payés et les indemnités journalières de la sécurité sociale (Cass. soc., 2 mars 1989, n° 86-42426). Il ne peut donc pas profiter du repos et de la période de loisirs propre au congé payé annuel et distinct du rétablissement permis par le congé maladie. La Cour de cassation devrait donc revoir sa position suite à cet arrêt de la CJUE.

 Arrêt CJUE, 21 juin 2012, aff. C-78/11